La réalité reflétée par la fameuse « Loi Rider » – qui vient d’être définitivement soutenue par le Tribunal Constitutionnel espagnol le 25 octobre 2023- n’a pas seulement réglementé les relations juridiques de travail, mais a aussi transcendé la sphère pénale.
Étant donné que la majorité des riders avaient conclu un contrat avec les plateformes en tant qu’auto-entrepreneurs et non pas en tant que salariés – relation juridique que le Tribunal Suprême espagnol avait déjà affirmé qu’elle ne correspondait pas à la réalité de la prestation de services dans son arrêt rendu en séance plénière n° 805/2020 du 25 septembre 2020 -, le législateur a choisi d’offrir une plus grande protection aux travailleurs également dans le domaine du droit pénal.
La Loi Organique 14/2022, du 22 décembre, relative à la transposition des directives européennes et autres dispositions d’adaptation de la législation pénale aux normes de l’Union européenne et à la réforme des délits contre l’intégrité morale, les désordres publics et la contrebande d’armes à double usage, introduit dans notre système juridique un nouveau type de délit sur les droits des travailleurs : l’article 311, deuxième alinéa, du code pénal dispose que :
« Article 311.2ºSont punis de peines d’emprisonnement de six mois à six ans et d’une amende de six à douze mois : […]
2º. Ceux qui imposent des conditions illégales à leurs travailleurs, en les engageant selon des formules autres qu’un contrat de travail, ou les maintiennent contre toute demande ou sanction administrative ».
Ce que prétend ce nouvel article est d’ériger en délit l’imposition de conditions de travail illégal, l’embauche des travailleurs sous des formules différentes qu’un contrat salarié, telles que le faux travailleur indépendant, le faux stagiaire ou le faux volontaire.
Cependant, ce nouveau précepte, loin d’apporter une plus grande protection au travailleur, génère une conséquence néfaste évidente pour les entreprises, l’effet dissuasif sur l’activité productive et la réduction des relations commerciales avec les travailleurs indépendants.
Comme l’ont souligné à juste titre notre Tribunal Constitutionnel espagnol et la Cour Européenne des Droits de l’Homme en matière de droits fondamentaux – que nous pouvons appliquer dans ce domaine de manière analogue – : « la prévision de peines de prison pour l’exercice excessif des droits dissuade cet exercice lorsque la frontière entre le paradis du droit et l’enfer de la prison est floue ».
Plusieurs principes du droit pénal lui-même, intégrateurs et centraux de cet ordre juridictionnel, peuvent susciter une certaine controverse avec la rédaction donnée par le législateur à ce nouveau précepte :
Les sanctions pénales doivent être limitées au cercle de l’indispensable et ne doivent être utilisées que s’il n’existe pas de voie moins préjudiciable pour la partie sanctionnée.
En ce qui concerne la protection des travailleurs, il existe dans notre législation nationale des mécanismes moins préjudiciables pour atteindre les objectifs visés par la rédaction de ce nouvel article, tels que les plaintes déposées à l’Inspection du Travail elle-même, par voie administrative, ou les actions prévues par le Statut des Travailleurs comme par la loi régissant la Juridiction Sociale pour sauvegarder les droits des travailleurs qui se trouvent dans des situations d’embauche illégale.
Compte tenu de ce qui précède, et conformément au principe du dernier recours en droit pénal, l’application pratique de ce délit et l’imposition des peines d’emprisonnement qu’elle entraîne ne seront pas si fréquentes.
Compte tenu de ce qui précède, on constate également des lacunes en ce qui concerne l’encadrement des peines de ce nouveau délit avec le principe de proportionnalité.
L’article 311.2º du Code Pénal espagnol prévoit une fourchette de peines allant de six mois à six ans d’emprisonnement, ce qui se traduit par une échelle de temps très large et totalement dépourvue de spécificité. Il ne fait aucun doute que ce large spectre de peines d’emprisonnement n’est pas conforme au principe de proportionnalité qui régit l’ordre pénal. Si l’on prend en compte le fait générateur c’est-à-dire le fait qui peut être pénalisé, qui n’est ni plus ni moins que « l’imposition » de condition de travail illégales avec un contrat inapproprié, par rapport aux peines qui prétendent s’imposer, on peut clairement conclure que le législateur, plutôt que de rechercher la véritable protection des travailleurs, dissimule un motif sous-jacent plus important : la condamnation et la punition des entités et des entreprises.
Le législateur espagnol, face au taux élevé d’embauches frauduleuses sous la figure de « faux indépendants » entre 2015 et 2021, a jugé nécessaire d’inclure un nouveau délit spécifique dans le Code Pénal. Cependant, l’objectif visé pourrait déjà être atteint par les mécanismes et moyens existants dans notre ordre juridique et, en réalité, ce qui a été prévu est davantage une sanction pour les entreprises qu’une protection pour les travailleurs.
Sur une note rassurante, ce nouveau délit ne devrait pas affecter les relations commerciales réelles entre les entreprises et les travailleurs indépendants. Tant que l’indépendance entre l’entreprise et le véritable travailleur indépendant est sans équivoque, c’est sans aucun doute qu’il n’y aura pas de délit.
Isabel Merino Pérez, avocat de Linkia Legal