Le problème de la contrefaçon est tangible en Europe, en particulier chez les jeunes. C’est ainsi que le reflète le baromètre de 2022 dit « Intellectual Property and Youth Scoreboard« , élaboré par l’Office de l’Union Européenne pour la Propriété Intellectuelle (EUIPO), en ce qu’il établit que 37 % des jeunes achètent des contrefaçons. Cependant, il convient de noter que, dans le cas de l’Espagne, cette même étude montre une plus grande consommation de contrefaçons, 45 % des jeunes avouant avoir délibérément acheté des contrefaçons, ce qui cause un grave préjudice aux entreprises qui commercialisent les marques faisant l’objet de contrefaçon.
Face à cette situation, la doctrine traditionnelle considérait que, dans les cas où la contrefaçon de marques enregistrées se produisait mais, pour une raison ou une autre, n’arrivait pas à s’introduire sur le marché, il n’y avait pas de responsabilité civile dérivée du délit. La raison principale est que, puisque le produit contrefait n’a pas été commercialisé et que, par conséquent, il n’y a pas eu d’image de marque touchée, alors il n’existe pas de préjudice économique ou moral en faveur de la marque imitée.
Cela a été justifié par le fait que, si les produits illicites n’étaient pas commercialisés, il n’y avait pas de préjudice puisque les ventes de leurs produits n’avaient pas été réduites au profit des marchandises contrefaites, et qu’il n’y avait pas non plus de perte de qualité des marchandises, qui produirait une mauvaise image de marque puisque les consommateurs n’avaient pas été en mesure de comparer les deux produits. Par conséquent, il était entendu qu’il n’y avait pas de préjudice, ni moral ni économique, avant la commercialisation des produits, ce qui les laissait sans défense dans cette situation, puisque la réalité est que la simple connaissance par les consommateurs de l’existence de contrefaçons cause un préjudice moral avant la commercialisation effective, qui doit être compensé.
En ce sens, le Tribunal Suprême espagnol s’écarte de la doctrine traditionnelle dans son arrêt n° 611/2023, du 13 juillet 2023, en s’appuyant sur l’affaire « Liffers » jugée par la Cour de Justice de l’Union européenne. Dans ces deux arrêts, l’analyse est portée sur la phase préalable à la commercialisation du produit imité, et donc contrefait, en reconnaissant le droit des marques à obtenir la réparation du préjudice subi. Ceci dans la mesure où il est vrai que la difficulté de quantifier les dommages patrimoniaux est élevée, mais cet aspect n’exclut pas la possibilité qu’il existe également un préjudice de réputation, de nature morale, qui implique l’obligation de le réparer.
Ainsi, la reconnaissance du préjudice moral et son indemnisation à cette phase préalable se fondent sur les aspects suivants :– En premier lieu, elle comprend qu’il s’agit de l’obtention d’un avantage patrimonial déloyal par la personne qui contrefait les produits, ce qui compromet l’image de marque que l’on souhaite transmettre aux consommateurs.
Elle soutient également que l’exposition même des produits cause « un préjudice moral implicite qui ne nécessite pas d’autre preuve » et, répétons-le, qu’il existera même s’il n’est pas possible de traduire l’infraction en un préjudice patrimonial tangible.
– D’autre part, elle obéit également à une question quantitative et qualitative, puisqu’elle prévoit que plus le prestige d’une marque est grand, plus le niveau de protection qui doit lui être garanti par les tribunaux est élevé, ce qui se traduit par la reconnaissance d’une indemnisation pour ce concept.En résumé, la reconnaissance de l’indemnisation du préjudice moral se fonde sur le prestige des marques imitées, qui souffrent de l’existence de biens et produits contrefaits, perdant ainsi l’aspect d’exclusivité qui les caractérise, et qui est directement lié à la qualité et au prix des produits susmentionnés.
Dans son arrêt du 13 juillet 2023, le Tribunal Suprême espagnol reconnaît non seulement le droit d’obtenir cette indemnisation en faveur de la marque enregistrée, mais il se prononce également sur sa quantification. En ce sens, il considère que plus la marchandise illicite est importante, plus le préjudice moral causé est grand, et plus le montant de l’indemnisation doit être élevé, et ce toujours dans le respect de la proportionnalité.
Il établit ainsi que le calcul de l’indemnisation dépend d’aspects tels que la quantité de marchandise fabriquée ou le pourcentage de profit que l’entité contrefaisante obtiendrait ou a obtenu, entre autres. Par conséquent, la présence de cette preuve dans la procédure est d’une grande importance pour quantifier précisément l’indemnisation.
Cependant, il établit également une limite, à savoir que le montant total de l’indemnisation ne peut pas dépasser le montant réclamé par les parties lésées, toujours dans le respect de la proportionnalité et de l’interdiction de l’enrichissement sans cause.
Par conséquent, le Tribunal Suprême espagnol a renforcé la protection des marques commerciales avec le changement de doctrine. Ce changement implique la reconnaissance d’un préjudice effectif à la marque du fait de la contrefaçon de ses produits, indépendamment de la phase dans laquelle elle se trouve, que ce soit avant le commerce ou dès la phase de commercialisation de la marchandise illicite.
Celia Piñeiro Antón, avocat de Linkia Legal (editado)